Les faits devraient trancher. Ils ne le font pas. Ceux qui mettent en doute l’efficacité de la mammographie encore moins que d’autres. Les réactions qui ont suivi la publication le 11 février dernier dans le British Medical Journal d’un essai canadien établissant la non-intervention de la mammographie de dépistage dans la réduction de la mortalité par cancer du sein sont là pour en témoigner. La résistance est considérable. En ce sens, la façon dont une étude est commentée dans les médias est éclairante au plus haut point. Pourquoi les conclusions des études n’influent pas sur les politiques de santé publique se comprend par la revue de presse. Concernant l’essai canadien, elle va s’avérer si riche et instructive qu’elle se fera par étapes. Dans un premier temps, nous éplucherons les réactions outre-Atlantique puis, après cette mise en bouche et afin de respecter un crescendo dans le ridicule, nous procéderons, dans un post ultérieur, à une revue de presse de ce côté ci de l’Atlantique.
Un bref rappel des faits avant de passer à la revue de presse proprement dite.
Un groupe de chercheurs canadiens mené par le Dr Anthony Miller de la Dalla Lana School of Public Health de l’Université de Toronto a suivi pendant 25 ans 90 000 Canadiennes âgées de 40 à 59 ans en les assignant au hasard en deux groupes : un premier bénéficiant d’une mammographie annuelle ainsi que d’un examen clinique réalisé par une infirmière expérimentée, et un second, le témoin, bénéficiant de l’examen clinique seul. A l’arrivée, le taux de mortalité par cancer du sein fut identique dans les deux groupes. La mammographie n’apportait donc rien de plus par rapport à un examen clinique pratiqué par une professionnelle entrainée. Dit plus clairement : la mammographie de dépistage ne réduisait pas la mortalité due au cancer du sein. Une conclusion qui ne passe pas dans certains milieux, d’autant plus que le leader de l’étude en déduit assez logiquement : « Il devient urgent pour les décideurs en santé publique de réévaluer le bien fondé du dépistage par mammographie. »
Aux Etats-Unis, le bal est ouvert pas Gina Kolata du New York Times qui titre : « Une étude à grande échelle jette le doute sur l’efficacité des mammographies ». L’article, qui a suscité quelque chose comme 645 commentaires, est factuel et reprend les grandes lignes de l’essai. Kolata cite le Dr. Richard C. Wender de l’American Cancer Society (ACS), selon lequel « les données tous essais confondus [dont celui du Canada] montrent que la mammographie réduit d’au moins 15 % le taux de mortalité par cancer du sein chez les femmes dans la quarantaine et d’au moins 20 % chez les femmes plus âgées ». Rien de tel que des pourcentages taillés au cordeau pour rassurer les femmes sur le point de basculer du côté du doute. Le représentant de l’ACS tente de sauver ce qui peut l’être en ajoutant que si les traitements ont contribué à la réduction de la mortalité par cancer du sein, le dépistage ne doit pas être oublié et a lui aussi joué un rôle en détectant les cancers plus tôt.
Le même Richard Wendel déclare au Boston Globe que « quelle que soit la maladie, il y a toujours un surdiagnostic […] Nous traitons toute personne présentant une hypertension et pourtant toutes ne vont pas décéder d’un accident vasculaire cérébral ou d’un infarctus ». L’argument de l’inévitabilité (qui sous-entend son acceptabilité sans discussion) du surdiagnostic est très employé, en particulier par ceux qui ne le subissent pas. Mais l’analogie entre hypertension est cancer du sein est-elle valide ? Peut-on comparer la lourdeur et la toxicité des traitements ? Jusqu’à nouvel ordre, on n’opère ni ne pratique de chimiothérapie et de radiothérapie pour une simple hypertension. Wendel confirme dans le même quotidien les recommandations de l’ACS : mammographies annuelles dès 40 ans. Toujours selon le Boston Globe, il semblerait que certains radiologues aient vertement attaqué les chercheurs, les accusant de s’être rendu coupable d’un a priori contre la mammographie en concevant un essai dans lequel les femmes du groupe de contrôle dans la cinquantaine ont bénéficié d’un examen clinique annuel pratiqué par une infirmière entrainée en place et lieu de la mammographie. Selon les critiques, les chercheurs voulaient prouver que « tout ce que les femmes avaient à faire était un examen clinique ». En effet, cet essai a montré que la mammographie n’apportait rien de plus par rapport à un examen clinique pratiqué par une infirmière bien formée. On ne comprend pas très bien cependant de quoi les chercheurs devraient se sentir coupables. N’est-ce pas le but de toute étude se penchant sur l’efficacité de la mammographie d’isoler autant que possible la procédure afin de distinguer, dans la réduction de la mortalité, ce qui est attribuable à l’examen clinique, ce qui l’est à l’amélioration des traitements – ce que fit l’étude de Philippe Autier sur les trois paires de pays européens-, et enfin ce qui n’est attribuable qu’à la mammographie? Aurait-il été plus judicieux de mélanger les facteurs de façon à rester dans l’impossibilité de déterminer ce qui est attribuable à quoi ? Il est certain que camper dans ce flou artistique le plus longtemps possible permet aux partisans de la mammographie de gagner du temps, mais c’est bien le seul avantage.
Le quotidien de la côte Ouest, le LA Times, titre « Une étude met en évidence que la mammographie de dépistage ne réduit pas le taux de mortalité par cancer du sein« . Le sous-titre, en découplant détection des cancers et réduction de mortalité, est encore plus explicite : « Selon une étude portant sur 90 000 Canadiennes, le dépistage annuel détecte des cancers, mais cela ne réduit pas le nombre de décès par cancer du sein. »
USA Today quant à lui annonce : « Une étude soulève le problème des risques de la mammographie », et développe : « Une nouvelle étude ravive le débat sur le problème du surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein. » Le résultat-majeur de l’étude – pas d’influence sur le taux de mortalité par cancer du sein – probablement trop politiquement incorrect, passe au second plan derrière le risque de surdiagnostic. Le quotidien cite le chiffre de 22 % sans spécifier que les DCIS- les « cancers » les plus sujets au surdiagnostic- ont été exclus de l’étude.
USA Today cite le Dr Barbara Monsees, radiologue, qui juge l’essai canadien foncièrement biaisé et d’aucune utilité pour tirer des conclusions sur l’efficacité de la mammographie. Si elle reconnait l’existence d’un certain surdiagnostic dans le dépistage du cancer du sein, selon elle, le « taux réel » est « bien plus faible » et les études « plus fiables » donnent un taux en dessous de 10 %. De l’autre bord, Steven Woloshin[1], professeur au Dartmouth Institute for Health Policy & Clinical Practice à Hanovre, dans le New Hampshire, déclare pour sa part que l’étude sous-estime les risques inhérents à la mammographie dans la mesure où elle n’a pas inclus les DCIS.
Mais nous avons gardé le meilleur pour la fin: la réaction très attendue du groupement représentatif des professionnels de l’imagerie médicale aux Etats-Unis, l’American College of Radiology (ACR). Elle eut lieu le lendemain de la parution de l’essai canadien dans le BMJ et fut sans surprise aucune : l’ACR juge l’essai canadien « défectueux et trompeur au plus haut point » (incredibly flawed and misleading) et prévient : « Si les politiques de santé publique tiennent compte des résultats de cet essai, un grand nombre de femmes verraient leur risque de décéder inutilement du cancer du sein augmenté ». L’ « argument » est né en même temps que les programmes de dépistage par mammographie : dès que l’on touche à la procédure, on a des morts sur la conscience.
L’ACR déclare dans la foulée que « les experts appelés à juger l’essai canadien ont confirmé que les mammographies étaient de mauvaise qualité ». Quels experts ? Quand ont-ils jugé cela ? En l’espace de 24 h ? Pourquoi « confirmé » ? Qui l’a affirmé avant eux ? Pour affirmer que les mammographies étaient de mauvaise qualité, l’ACR avance que « les machines étaient d’occasion ». Indigent Canada ! En être réduit à soumettre 45 000 femmes (la moitié des femmes de l’essai) à un parc – particulièrement étendu – de machines à mammographier d’occase ! Il a du tomber sur un lot providentiel, le genre de bonne affaire qui n’arrive qu’une fois et qu’il s’agit de ne pas laisser passer. Autre faille de l’essai selon l’ACR : « Les techniciens n’ont pas été formés à bien placer le sein sur les plaques (« were not taugh proper positionning »). Le Canada n’est décidément pas gâté avec des techniciens au QI si peu élevé qu’on les imagine hésitant sur quelle partie de l’anatomie féminine placer sur les plaques quand il s’agit de procéder à une mammographie. L’ACR insiste, juste au cas où : « En conséquence, de nombreuses femmes ont été mal positionnées sur les machines » (many women were not properly positioned in the machines). A cause de toutes ces histoires de positionnement, « de nombreux cancers ont été manqués ».
La nullité du personnel médical impliqué dans l’essai n’a toutefois pas été répartie de façon homogène puisque Daniel Kapans, un autre fervent défenseur de la mammographie, directeur du département imagerie médicale du sein à l’hôpital général du Massachussetts, déclare au Boston Globe que « les infirmières qui ont réalisé les examens cliniques étaient particulièrement bien formées tandis que les radiologues de l’essai ne l’étaient pas. » Quelle déveine tout de même un tel déséquilibre entre la formation des radiologues et celle des infirmières !
L’accusation prend ensuite un tour plus sérieux. Dans la mesure où les super-infirmières qui ont procédé à un examen clinique du sein chez toutes les femmes de l’essai l’ont fait avant que la moitié d’entre elles soit soumises à une mammographie de dépistage et l’autre non, les chercheurs ont pu savoir quelles femmes présentaient un cancer et s’empresser de les diriger, sciemment et méthodiquement pendant 25 ans, vers le bras « mammographie » de façon à fausser les résultats en défaveur de la procédure. Si l’ACR juge le Canada peu gâté en termes d’équipement et de techniciens, il semble toutefois reconnaître à ses chercheurs une compétence peu commune dans la manipulation à grande échelle et sur le long terme.
L’ACR fait feu de tout bois. Nous aurions tort d’être surpris : on voit mal comment une association de radiologues pourrait applaudir des deux mains un essai mettant en cause l’efficacité d’une procédure de radiologie parmi les plus rentables de leur point de vue. Parfois cependant plus c’est gros mieux ça passe, et Gilbert Welch, professeur de médecine dans le même institut que Steven Woloshin, monte quand même au créneau le 19 février sur CNN pour défendre à la fois l’essai et le Canada, dont l’image vient d’en prendre un sérieux coup dans les locaux de l’ACR. Dans sa mise au point « Don’t slam Canada for mammogram study », il reprend point par point les chefs d’accusation de l’ACR. A celui de tricherie, il répond que le résultat même de l’essai – aucune différence entre les deux groupes – est une preuve que l’assignation s’est bien faite au hasard. Le taux de mortalité fut exactement le même pour les deux groupes, année après année, et ce pendant 25 ans. Seuls des groupes formés au hasard peuvent donner un tel résultat. En effet comment calculer ou doser la tricherie de façon à obtenir exactement le même taux de mortalité dans les deux groupes ?
A l’accusation comme quoi le Canada serait un pays du tiers monde en matière d’équipement mammographique, Welch rétorque : « Pour l’ACR, le Canada c’est le Botswana : il vient tout juste d’accéder aux bienfaits de l’électricité et il bataille encore pour se doter de radiologues compétents. Au Canada, rien ne va. Les machines sont mauvaises, les images radio qu’elles produisent le sont tout autant, ainsi que les techniciens qui les interprètent. Espiègle, Welch renvoie la balle à l’envoyeur : l’argument comme quoi les machines n’étaient pas dernier cri est pour le moins incongru puisque les « mammographeurs » se réfèrent constamment aux essais antérieurs – favorables à la mammographie. Or, de fait, les machines utilisées pour ces essais-là étaient plus anciennes. Les accusations de l’ACR dégringolent ainsi du statut d’arguments à celui d’allégations.
Et Gilbert Welch de conclure : « Proférer des allégations est une tactique relativement commune en politique mais elle ne devrait pas avoir sa place dans le domaine scientifique. Trop d’énergie a été dépensée à discréditer l’étude canadienne et trop peu à comprendre ses implications. »
« Trop d’énergie… », déplore Welch. Il n’a encore rien vu… et ne verra pas. N’étant pas familier de la langue de Molière, il ne connaitra jamais l’ampleur de celle qui sera dépensée en France pour contrer cet essai bien dérangeant. Ni ne pourra imaginer son niveau argumentaire. Il est des arguments auxquels même les plus fervents défenseurs de la mammographie outre-Atlantique n’auraient jamais pensé. Nous avons au moins cela pour nous : des trésors d’imagination.
A découvrir très bientôt…
[1] Co-auteur avec Gilbert Welch et Lisa Schwartz de Know Your Chances : Understanding Health Statistics (2008) et de Overdiagnosed (2011)
Ping : Revue de presse (non exhaustive) (2) La France | Expertise citoyenne
Nous allons assister au même cinéma qu’avec les OGMs . comme la publication de de G.E.Seralini, qui elle est somme toute criticable si on la regarde « de l’intérieur », car réalisée hors du cadre de la toxicologie réglementaire. Moi même , toxicologue réglementaire, je peux effectivement porter un regard critique « dans le cadre normatif ». Mais si je pense « out of the box », je sais que sa publication est aussi intéressante et digne d’intérêt que n’importe qu’elle autre publication. La revue Food and Chemical Toxicology, après lui avoir demandé de retirer sa publication, a tout bonnement décider de la retirer d’office et a fait pour cela appel à un « tueur à gages » de chez Monsanto.
Idem si on veut bien se souvenir de l’affaire dite « de la mémoire de l’eau » où la publication de Jacques Beneveniste, accusé de toutes sortes de malversasions, humilié par la présence d’une magicien dans son labo pour détecter d’éventuelles supercheries, a du subir le harcèlement d’une violence extrême . On pourrait citer aussi l’affaire moins connu des traitement anticancereux de Miro Beljanski .
La « prestigieuse » revue «Nature» se fait régulièrement l’écho de fraudes de la littérature scientifique : ainsi, en 2005, Nature annonçait que sur 3247 scientifiques questionnés sous le couvert de l’anonymat, 33% reconnaissaient une tricherie au cours des trois années précédentes. Parmi les fautes les plus graves : 0,3% des chercheurs interrogés admettaient une invention pure et simple de résultats, 6% reconnaissaient avoir caché des éléments contradictoires et 15,5% une modification de leurs données sur demande d’un commanditaire. En octobre 2012, une nouvelle étude parue dans la même revue Nature faisait à nouveau apparaître que fraude, invention pure ou manipulation de résultats représentent 67.4 % des cas de rétractations de publications, et ceci était en augmentation constante, ces pratiques touchant particulièrement dans la recherche biomédicale.
Pourtant, ces résultats passent haut la main le crible des comités de lecture des revues scientifiques, si tant est qu’ils servent des intérêts pas vraiment avouables : culture du résultat, courses aux crédits, effets pervers de la bibliométrie dans les avancement de carrières, conflits d’intérêt politico-industriels avec la recherche institutionnelle et les instances d’évaluation, intérêts financiers des maisons d’éditions scientifiques… et servent, arme à double tranchant, de prétexte pout assassiner toute publication qui contrecarre des intêrets financiers et économiques des lobbyies en position hégémoniques….facile quand les revues sont infiltrées par de scientifiques industriels.
j’imagine que dans le petit monde de l’épidémiologie, c’est du pareil au mêm : étude médiocres servant des interets pharmaceutiques encensée et jaais critiqués, bonnes études solides mais qui ont le malheur d’être indépendantes ou faisant de l’ombre à certains mise à la poubelle…
C’est la science même qui est en train d’être discréditée et c’est très grave.
c’est pourquoi cette affaire (comme d’ailleurs le contrat à la performance(ROSP) devrait être dénoncé pas les politiques car un grnad nombre de décisions en poltique de santé ne reposent ne fait que sur de la Junk Science . Mais en ont ils le courage?
Le monde anglo saxons nous a importé le libéralisme économique, mais nous l’avons en version française, la pire : la libéralisme sans la liberté d’expression. Dans ces pays, les voix discordantes ont le droit de s’exprimer dans les médias, et il y a des débats ouverts, houleux même (nous en avons à nouveau la preuve ici dans l’article de Rachel sur l’accueil de l’étude canadienne aux USA. En France, rien n’a changé depuis mes jeunes années de chercheuse, avec l’affaire de Tchernobyl (le nuage qui s’arrêtait aux frontières) , l’affaire de la mémoire de l’eau , du sang contaminé… La liberté de dire est baillonné. Circulez, y a rien à voir.
Le silence assourdissant des medias français en dit long sur le degré de subordination au pouvoir biomédical et au pouvoir tout court….
Vivement la deuxième partie car cette première est au top.
Surtout pour un non anglophone comme moi.
Merci de cette ouverture sur le monde anglophone