A Montpellier, l’INCa, on connait pas

« La mammographie est indiquée à toutes les femmes à partir de 40 ans tous les deux ans ». C’est écrit noir sur blanc ici sur le site Web www.lecancer.fr dans la rubrique « Cancer : ce qu’il faut savoir », sous rubrique « Prévention-Dépistages-Examen ».  Rien, absolument rien dans cette sous-rubrique ne se rapporte à la prévention, mais il est courant de voir ce mot à haute charge positive placé judicieusement aux côtés du mot « dépistage », de façon à le faire bénéficier de son aura dans des contextes où dépistage il y a, mais de prévention point.

A la rubrique « Qui sommes-nous ? » , nous apprenons que « le site le cancer.fr a été créé en collaboration avec le conseil pédagogique de la Faculté de Médecine de Montpellier et du comité de formation du Centre de lutte Contre le Cancer de Montpellier. Le but principal est d’apporter une information adaptée et exhaustive aux patients atteints de cancer et à leur entourage. »

Vient ensuite la liste des auteurs et contributeurs des articles. Sur 42, près de la moitié (20) travaillent au Centre UniCancer de Montpellier, 10 sont spécialisés en cancérologie radiothérapie, 5 en cancérologie médicale.

La question qui vient alors à l’esprit est : comment ces professionnels de santé, spécialistes en cancérologie pour la plupart, peuvent-ils ignorer que les recommandations officielles, tant de la HAS que de l’INCa, ne préconisent la mammographie qu’à partir de 50 ans hors de facteur de risque particulier ? La communication ne passerait-elle pas entre l’INCa et le site lecancer.fr ? C’est peu probable : il n’est qu’à constater le nombre de documents labélisés « Source INCa » présents dans la rubrique « Téléchargements » . Il y a donc eu échanges.

Serait-ce l’éloignement géographique de Paris ? Diable ! Montpellier n’est qu’à 3h20 de la capitale : une broutille pour ces spécialistes dont beaucoup sont des habitués des Congrès et autres Journées à thèmes organisés un peu partout en France. Et, justement, en échangeant avec leurs collègues de France et de Navarre, il semble bien improbable qu’entre deux petits fours ou interventions, ils n’aient pas entendu dire que partout ailleurs dans l’Héxagone le dépistage du cancer du sein n’était préconisé qu’à partir de 50 ans. Pourquoi alors laisser une telle affirmation « La mammographie est indiquée à toutes les femmes à partir de 40 ans, tous les deux ans » sur le site? Est-ce une erreur? Ce serait relativement grave à ce stade. Est-ce intentionnel? Mais alors pour quelles raisons? Pourquoi? Pour qui? 

Quatre lignes plus bas, toujours dans la rubrique « Qui sommes-nous ? », nous lisons : « Les sources de financement du site lecancer.fr sont représentées par des soutiens institutionnels d’industriels ainsi que par des encarts publicitaires clairement identifiés sur les différentes pages des plateformes ou encore par des liens vers d’autres sites qui sont, le cas échéant, nommés et identifiés »

Qu’est ce que le qualificatif d’ « institutionnel » vient faire ici appliqué au soutien d’un industriel ? Jusqu’à nouvel ordre, un industriel n’est pas une institution. A moins que ce lapsus ne soit révélateur de la confusion que finit par engendrer la proximité entre véritables institutions et industriels.  

Quels sont donc ces soutiens « institutionnels industriels » ? Réponse à la rubrique « Partenaires ». Ils sont 24 en tout. Parmi eux, 7 industriels : 6 laboratoires et un concepteur de « solutions informatiques innovantes répondant aux exigences des Autorités de santé ». Les laboratoires sont AMGEN, Bioalliance Pharma, Janssen, LEO Pharma, Novartis, Roche. Novartis et Roche nous refont le coup du « soutien institutionnel ».

Parmi les autres soutiens, plusieurs associations. Entre autres la Ligue contre le cancer, elle-même soutenue par Novartis et Sanofi. Autre association : Etincelle « Espace d’accueil et de bien-être pour les femmes atteintes d’un cancer », soutenue quant à elle par L’INCa, le CISS (Collectif Interassociatif sur la Santé), Europa Donna. Le CISS étant soutenu, entre autres, par la fondation Pfizer. Quant à Europa Donna, ses partenaires comprennent Pfizer, Amgen, Novartis, Esai, Roche, Sanofi. De quoi donner le vertige… On pourrait ainsi s’amuser indéfiniment à remonter les pistes d’une rubrique « Partenaires » à l’autre mais le principe devrait être à ce stade acquis.

Oups, et j’ai bien failli ne pas la voir, là, tout en bas à droite, en petites lettres bleues sur fond noir : la mention « Avec le soutien institutionnel de Roche » dès la page d’accueil

En fin de compte, avec tous ces soutiens « institutionnels industriels », si jamais nous était venu un doute sur l’existence de conflits d’intérêts, nous serions à présent définitivement rassurés car nous avons entendu dire qu’il n’est de meilleur garant d’indépendance que la diversité des soutiens industriels. En dépendant de plusieurs, on ne dépend d’aucun : il suffisait d’y penser. Cette recommandation de pratiquer la mammographie dès 40 ans tous les deux ans ne peut donc avoir le moindre lien avec les divers « soutiens institutionnels » des laboratoires liés au traitement du cancer.

Dernière possibilité : le sein des montpelliéraines est biologiquement différent. Il n’est pas dense avant la ménopause comme celui des parisiennes. Les images radiologiques sont en conséquence claires et n’entrainent aucun risque supérieur d’erreur. De plus, elles possèdent un gène spécifique qui protège leur tissu mammaire des effets délétères des radiations ionisantes. Oui, cela doit être ça…

 

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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3 réponses à A Montpellier, l’INCa, on connait pas

  1. Sisdevantvous dit :

    Comme quoi votre billet aura déjà eu un effet ! Félicitation encore pour cette dénonciation de la confusion institutionalisée !

  2. Rachel Campergue dit :

    Suite du feuilleton …

    Quelques heures à peine après ce billet, @Mwyler a saisi la balle en plein vol comme un bon pitbull ashkénaze, et a relayé et approffondi le questionnement avec son billet « Cancer et conflits d’intérêts, la galette des trois pharmaciens »
    http://fuckmycancer.fr/2013/12/cancer-interets/#comment-773
    L’un des « trois pharmaciens » interpellés répond:
    « Merci de votre vigilance; l’article sur la mammographie et le dépistage vient d’être corrigé;
    A titre d’information, cet article a été écrit en 2007 par l’équipe de rédacteurs de l’époque, et malgré notre vigilance, nous n’avons pas pu repérer cette erreur… (en 2007, les recommandations étaient à 40 ans);
    Nous avons repris ce site et l’ensemble de son contenu en 2013; nous ne sommes donc pas les rédacteurs de tout le contenu que vous pourrez trouver sur le site mais nous travaillons à la relecture et la mise à jour des informations sur ce site; »

    Mon commentaire suite à cette réponse :
    Je ne sais si, à ce stade, l' »erreur » ou l' »oubli » est préférable à l’intention, s’il faut y croire, s’il faut en rire ou en pleurer. Depuis 2007, combien de femmes de moins de 50 ans influencées par cette « erreur »? D’autre part, je n’ai jamais entendue dire qu’en 2007, le DO démarrait à 50 ans.
    D’après mes infos, qui sont aussi celles de l’INCa, le DO « est généralisé sur l’ensemble du territoire depuis 2004. Il concerne les femmes âgées de 50 à 74 ans ».
    http://www.e-cancer.fr/depistage/depistage-du-cancer-du-sein
    Mais peut-être s’agit-il là aussi d’une « erreur »…

    Restons positifs : il y eut réaction et cela fera toujours un relais de moins de cette promotion de la mammo dès 40 ans qui n’a pas lieu d’être. Le site http://www.lecancer.fr commencera l’année 2014 allégé d’une énormité. Il en reste certainement d’autres.

  3. « L’incA connait pas »…Oui c’est la sacro sainte liberté du médecin et heureusement car l’incA n’est pas un modèle de réflexion non plus. L’incA défend le DO et pire que ça, j’ai bien peur qu’un de ces jours sous la pression d’associations, de gentils docteurs comme ceux de Montpellier et de labos qui pensent à la santé des femmes…oui j’ai bien peur que l’incA finisse un jour par s’associer aux idées du DO à 40 ans plutôt que l’inverse.
    je vois poindre à l’horizon le désir de trouver une imagerie médicale de plus en plus performante, ce qui dans l’absolu serait pas mal, mais quid de ce que l’on fera des découvertes de l’infinitésimal!! Il suffit d’analyser le discours et ce que ce discours devrait induire comme pensée. Les femmes craignent la mammo qui fait mal:-alors trouvons des machines indolores. Les mammos ne sont pas assez fiables:-alors créons des machines fiables. Les mammos irradient les seins: alors perfectionnons les échographes…Mais le but reste le même, le but est « chercher et trouver » sans connaître vraiment ce que l’on cherche et trouve. Sans remettre l’ensemble à plat, sans réévaluer ce qu’est la maladie cancer du sein. le problème est mal situé.
    Encore une fois, ce n’est pas une excuse mais une explication, les docteurs sont dans l’obsession du cancer du sein pour ce que le cancer du sein représente dans notre imaginaire…et ils ne l’analysent pas plus que les patientes. Si par ailleurs ils vivent de ça, et souvent bien, c’est encore autre chose. Un médecin ne peut que vivre « sur le dos » de son patient. Il n’y a rien d’un point de vue institutionnel entre les médecins et les industriels. les responsabilités à mon sens sont bien plus là qu’auprès des médecins. Quand bien même ceux-ci se prévalent de leurs grandes connaissances etc. le jour où un oncologue verra son boulot comme moi je le vois, il ne pourra que cesser de travailler…or ce n’est pas possible. Nous sommes déjà trop loin dans un type de pensée formaté concernant le cancer. Il faut impérativement de la « pensée » critique, de l’analyse en termes d’épidémiologie, d’iatrogénie, d’environnement, d’anthropologie etc mais pas un binzz dont on parle 2 fois à Fr cul et qui est rangé dans un tiroir. En fait c’est d’un « désir » politique dont nous avons besoin, une pensée qui se projette.

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