« Si la mammographie avait été un médicament, elle aurait été retirée du marché »

C’est le constat sans ambiguïté de Peter Gotzsche, directeur de l’Institut Cochrane nordique, à la lecture des nouvelles recommandations du Canadian Task Force on Preventive Health Care − organisme chargé d’établir régulièrement des recommandations en matière de prévention au Canada −  concernant la mammographie de dépistage pour les femmes de 40 à 74 ans, publiées le 22 novembre dernier dans le Canadian Medical Association Journal (CMAJ)[1].

Nous présenterons ultérieurement avec toute l’attention qu’il mérite ce redoutable empêcheur de dépister en rond qu’est le Dr Peter Gotzsche. Pour l’heure, il nous suffit de savoir qu’il fut un des premiers à poser, à une grande échelle, la question taboue : « Le dépistage du cancer du sein par mammographie est-il justifié ?[2] ».

La question étant ainsi posée, on se doute un peu de la réponse…

Réponse si politiquement incorrecte qu’elle a fait les choux gras de la presse et déclenché l’ire des partisans du dépistage. Nous raconterons un jour ces belles heures des Mammography wars, mais place à l’actualité : que nous disait Gotzschy –  attribuer des surnoms aux scientifiques que j’affectionne est une addiction – il y a quelques jours au sujet de ces nouvelles recommandations au sujet de la mammographie de dépistage ?

Ces recommandations, de même que celles de l’US Preventice Service Task Force établies deux ans plus tôt presque jour pour jour, et qui avaient, elles aussi, déclenché un tollé[3], vont dans le sens d’une modération dans l’incitation au dépistage, en particulier pour les femmes en dessous de 50 ans. Dit autrement, on met la pédale douce, plutôt que d’appuyer sur l’accélérateur comme persistent à le faire certains pays.

Dans les commentaires qui suivent la publication en ligne des recommandations, Gotzschy, qui décidément a un don pour les questions embarrassantes, s’interroge : « Time to stop mammography screening[4] ? » Il débute son commentaire en faisant savoir à quel point il est en phase avec ces recommandations, il fait ensuite le point sur les dernières données concernant la mammographie de dépistage, pour terminer en fanfare par un dernier paragraphe en forme d’estocade que je vous livre ici en traduction libre :

« Un effet éventuel du dépistage sur la mortalité par cancer du sein, s’il existe, est faible, et pourrait être mis en balance avec l’impact sur la durée de vie qu’ont la radiothérapie et la chimiothérapie lorsqu’elles sont administrées à des femmes dont le cancer entre dans le cadre du surdiagnostic (à savoir un diagnostic de cancer du sein qui n’aurait jamais été posé dans le temps de vie de la femme si elle ne s’était pas soumise au dépistage)[5]. Le principal effet du dépistage est de transformer en patientes cancéreuses un certain nombre de femmes en bonne santé qui seraient restées indemnes de tout cancer pour le restant de leurs jours si elles ne s’étaient pas soumises au dépistage. Des données irréfutables provenant des Etats-Unis, de Norvège et de Suède, montrent que la plupart des tumeurs entrant dans le cadre du surdiagnostic auraient régressé spontanément sans traitement[6]. De plus, le dépistage augmente de façon substantielle le nombre de mastectomies pratiquées[7], malgré les affirmations du contraire de la part des défenseurs du dépistage.

Ce que nous pouvons faire de mieux (the best method we have) pour réduire le risque de cancer du sein est de mettre un terme au programme de dépistage. Ceci pourrait réduire le risque d’un tiers dans la tranche d’âge ciblée par le dépistage, considérant le fait que le taux de surdiagnostic dans les pays possédant un programme de dépistage organisé est de l’ordre de 50%. »

Pour achever de mettre les points sur les « i », Gotzschy nous résume dans un encadré les quatre points clés qui en ressortent :

1- le dépistage par mammographie ne réduit pas l’incidence des cancers à un stade avancé

2- des études observationnelles rigoureuses en Europe ne sont pas parvenues à démontrer un effet de la mammographie de dépistage

3- la mammographie de dépistage transforme en patientes cancéreuses un certain nombre de femmes en bonne santé et augmente le nombre de mastectomies pratiquées

4- Ce que nous pouvons faire de mieux pour réduite l’incidence du cancer du sein est de mettre un terme au dépistage.

Il conclut par le constat que nous avons placé en titre d’article :

« Si le dépistage avait été un médicament, elle aurait été retirée du marché. Dès lors, quel pays osera le premier mettre un terme au dépistage par mammographie ? »

Les paris sont ouverts…



[1] “Recommendations on screening for breast cancer in average-risk women aged 40-74 years”, The Canadian Task Force on Preventive Health Care, CMAJ November 22, 2011 vol. 183 no. 17 doi: 10.1503/cmaj.110334

http://www.cmaj.ca/content/183/17/1991

[2]  P. C. Gotzsche, O. Olsen, « Is Screening for Breast Cancer Justifiable? »,  Lancet, vol. 355, nº 9198, 2000, p 129-34.

[3] « Screening for Breast Cancer : US Preventive Services task Force Statement », Ann Intern Med, vol. 151, nº 10, 2009, p. 716-26.

[4] P.C. Gotzsche « Time to stop mammography screening ? », CMAJ 2011. DOI:10.1503 /cmaj.111721

[5] P. C. Gotzsche , M. Nielsen M. “Screening for breast cancer with mammography [review]”. Cochrane Database Syst Rev 2009; (1): CD001877.

[6] K. J. Jorgensen, J. D. Keen, P. C. Gotzsche. “Is mammographic screening justifiable considering its substantial overdiagnosis rate and minor effect on mortality?” Radiology 2011;260: 621-27.

voir aussi : P. H. Zahl , P. C. Gotzsche, J. Mæhlen. « Natural history of breast cancers detected in the Swedish mammography screening program; a cohort study”. Lancet Oncol 2011 Oct. 11

[7] P. C. Gotzsche , M. Nielsen M. “Screening for breast cancer with mammography [review

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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Une réponse à « Si la mammographie avait été un médicament, elle aurait été retirée du marché »

  1. Dans de nombreux pays le dépistage par mammographie du cancer du sein fait partie des objectifs d’incitations financières ayant pour but d’améliorer «performance» et «qualité» des soins des médecins généralistes. En France, depuis septembre 2012, un tel «objectif de santé publique» fait partie de la nouvelle convention médicale introduisant une diversification de la rémunération des médecins libéraux. Avec cet item 80% de la patientèle d’un médecin généraliste doit participer à ce dépistage. http://www.voixmedicales.fr/2012/02/03/remuneration-sur-objectifs-de-sante-publique-en-france-sur-quelles-bases-scientifiques/#more-3265
    Qu’en est-il de la liberté des femmes de choisir ou non de participer à ce dépistage?

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