Qui l’espoir fait-il vivre?

carotte2Je me suis déjà, dans Octobre Rose mot à maux, exprimée au sujet de l’exploitation dans le contexte du cancer du sein de ces mots possédant une charge positive considérable, ceci dans le but d’orienter notre comportement dans la direction voulue. Parmi ces mots qui vont automatiquement mettre le récepteur dans de bonnes dispositions pour accepter le message, -les mots « sésames » de la Linguae October Rosa – nous trouvons en vrac : « santé », « vie », « solidarité », « information », « prévention », « ensemble », « lutte », « courage » et, bien entendu, « espoir ». L’espoir nous est ainsi servi à tout bout de champ. Il prend toute la place, n’en laissant aucune, si exiguë soit-elle, pour la réflexion. Vous hasardez-vous à suggérer qu’il ne devrait pas être utilisé ainsi pour clore le débat ou rejeter le doute et vous voilà d’office qualifié d’irrécupérable pessimiste, de rabat-joie, de trouble-fête. Tel un chien dans un jeu de quilles, vous venez saboter tant d’efforts de longue haleine. Vous cassez pour ainsi dire la baraque – rose- que tous ceux qui ont besoin que les citoyens continuent à s’accrocher à l’espoir que le médicament super-intelligent, super-ciblé, super-personnalisé ou le test de dépistage parfait est là, juste au coin de la rue, s’acharnent à construire. Mettre enfin la main dessus est très simple : il suffit d’un dernier effeort, d’ouvrir encore une fois son porte-monnaie « pour la recherche ». Mais ce ton triomphant et cet optimisme inébranlable sont ils réellement adaptés ?

Souvenons-nous : en 1971, Richard Nixon déclarait la guerre au cancer. Une autre époque, un autre siècle déjà. L’optimisme allait alors de soi. On venait de marcher sur la lune. Dans la foulée, le cancer, on allait en faire qu’une bouchée. Rien ne semblait impossible : on parlait d’une éradication à dix ans. Plus de quarante ans ont passé et les ambitions ne sont plus les mêmes. Oubliée, l’éradication : nous sommes de plein pied dans la gestion, dans le « vivre avec », bien plus lucratif il est vrai. Une chose pourtant n’a pas changé : cet optimisme débridé – et aveugle – des décideurs en santé publique et des institutions qui gravitent autour du cancer. Aucun questionnement sur la stratégie suivie. A croire qu’ils n’ont rien appris. Mais pourquoi se poser des questions quand, de son côté, tout va bien, quand l’institution et sa raison d’être perdurent et que la stratégie rapporte ? De l’autre côté, celui des patients et de leur entourage, l’issue de cette guerre déclarée depuis si longtemps semble bien incertaine, du moins pour ceux aptes à tirer les leçons de l’histoire récente. Ils commencent à douter de la pertinence de la stratégie choisie au départ et pire, à demander des comptes sur l’allocation des budgets colossaux engloutis dans cette guerre qui s’enlise. Il devient donc urgent pour les institutions de ramener au bercail ces brebis égarées que la désillusion guette, de raviver la croyance que cette fois, ça y est, nous touchons au but, nous gagnons; ne serait-ce que parce qu’on ne donne qu’aux gagnants. Ainsi, que les sceptiques du positivisme à tout crin qui jugent que les progrès sont trop lents se rassurent : si hier, l’impression d’un certain immobilisme a pu prévaloir, aujourd’hui, les choses ont changé, tout s’accélère. C’est ce que cherche à démontrer l’INCa dans un web documentaire « Recherche sur le cancer : tout s’accélère » dont la bande annonce est visible sur Dailymotion et sur le site de l’INCa lui-même[1].

Procédons, si vous le voulez bien, à un petit exercice de lecture commentée du script.

La bande annonce s’ouvre sur un témoignage de patient, Christophe :

On se dit OK, je l’accepte, très bien, j’ai un cancer, pas de souci ! C’est mon cancer, je le prends ! Mais je vais le dégager.

Nous avons là une parfaite illustration de cette conception néolibérale du cancer très en vogue actuellement : « C’est mon cancer, je le prends. » Tout incombe à l’individu, la responsabilité du cancer, et la guérison. Aucune révolte : « je l’accepte, très bien ». Quant à l’affirmation : « J’ai un cancer, pas de souci ! », je laisse aux personnes atteintes de cancer le soin de commenter.

Deuxième patiente, Marie-Hélène :

Je suis très fière d’en être sortie ; je suis fière d’avoir accompagné mes proches ; je suis fière d’avoir, voilà, d’avoir combattu le cancer. Ouais, c’est une fierté de s’en sortir.

Marie-Hélène représente la bonne élève type, le petit soldat courageux et victorieux ; elle n’est pas en colère, simplement fière de s’« en être sortie ». Lorsqu’elle déclare : « Je suis fière d’avoir accompagné mes proches », nous aurions tendance à relire, craignant d’avoir mal compris. Nous aurions plutôt pensé que c’était aux proches de l’accompagner dans ces moments difficiles. C’était oublier que, même malade, une femme se doit d’être présente pour sa famille.

Vient le tour des blouses blanches. Anne Vincent-Salomon (pathologiste, Dpt. Biologie des Tumeurs – Inserm U830,  Institut Curie) :

Les médecins, les chercheurs et les patients, on est tous solidaires. Parce qu’en fait, même si les progrès paraissent toujours trop lents face à la maladie, à la souffrance et à la mort, on est réellement dans un processus de progrès actuellement.

Notons le recours à un mot-sésame classique : « solidaire ». D’autre part, selon le Dr Salomon, la lenteur ou l’immobilisme ne sont que des impressions, il ne faut pas s’y fier : on fait « réellement » des progrès.

Fabrice André (médecin-chercheur en oncologie, Inserm U981, Institut Gustave Roussy):

Du fait des avancées des technologies, du fait d’une meilleure coordination de la recherche, on va plus mettre 30 ans avant de développer un médicament, mais on va mettre peut-être cinq ans.

La solution passe donc par le médicament. Les laboratoires pharmaceutiques seront contents.

Philippe (il n’a pas de titres, pas même de nom, juste un prénom, on suppose donc que, du point de vue des réalisateurs, il n’est qu’un patient) :

La médecine avance à grand pas. Je vous rappelle qu’il y a encore 40 ans, on mourrait sans savoir ce qu’on avait. Ce qu’on disait dans les campagnes c’est : « bon bah il a attrapé la maladie ».

Quarante ans plus tard, on ne meurt pas moins, mais du moins sait-on de quoi on meurt : du cancer. C’est le progrès.

Olivier Delattre (médecin-chercheur en oncologie, Inserm U830, Institut Curie) :

On est dans une époque où la biologie, je dirais, est suffisamment mûre dans la compréhension des phénomènes du vivant et de la pathologie, pour vraiment déboucher sur des progrès majeurs dans le domaine de la cancérologie.

Avant, la biologie n’était pas assez mûre.

Anne Vincent-Salomon (pathologiste de l’Institut Curie, déjà citée) :

Donc on est vraiment dans un moment où il ne faut pas s’impatienter, mais en même temps, il faut faire vite.

Aller vite sans en avoir l’air : tout un art…

Daniel :

Je suis assez optimiste, j’ai un peu le sentiment qu’on va trouver quelque chose, oui.

Caroline Robert (médecin-chercheur, chef du service de dermatologie, Institut Gustave Roussy) :

On a fait des pas de géant. Et maintenant, ça va aller plus vite, et on a déjà des molécules qui arrivent, qui sont en développement, qui vont être encore mieux. Donc ça ne peut qu’aller de mieux en mieux.

La méthode Coué dans toute sa splendeur…

Fabrice André (médecin-chercheur en oncologie, Inserm U981, Institut Gustave Roussy) :

Je pense qu’il y a un certain nombre de règles, biologiques, mathématiques, qui règlent le devenir d’une cellule normale en cellule cancéreuse. Et le jour, en fait, où les mathématiciens et informaticiens débarquent vraiment dans cette recherche et s’intéressent à cette question – de quelles sont les règles qui gouvernent la transformation de cellules normales en cellules cancéreuses- et qu’on a les outils technologiques ; alors à ce moment là, tout va devenir d’un coup plus simple.

Il suffit de réveiller les mathématiciens qui dormaient depuis quarante ans dans la pièce d’à côté pour que tout devienne beaucoup plus simple. Dommage qu’on n’y ait pas pensé avant.

Sacha :

L’intérêt, c’est qu’il y ait des gens vraiment qui cherchent, et qui mettent le doigt. Et qui ouvrent des portes pour que ça aille mieux. L’espoir c’est eux. Je dirai que l’intérêt, c’est qu’il y ait surtout des gens qui trouvent, mais c’est une opinion personnelle.

L’important c’est en effet qu’il y ait des chercheurs qui « mettent le doigt », même si on ne sait pas trop où, et qui ouvrent des portes, même si on ne sait pas où elles mènent.

Philippe : Aux chercheurs, j’ai envie de leur dire : Bah ! Continuez à chercher, et la solution est au bout.

 

Nous arrivons ainsi au terme de cette bande-annonce censée annoncer des lendemains glorieux et rallumer la flamme de l’espoir chez les non-croyants.

L’espoir fait vivre… le système certainement. Quant à nous, si nous souhaitons simplement survivre, un soupçon de lucidité serait fort bienvenu.

 

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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5 réponses à Qui l’espoir fait-il vivre?

  1. dautrepart dit :

    « Pourquoi tant de gynécologues-obstétriciens français sont-ils maltraitants ?  » de Martin Winckler http://ecoledessoignants.blogspot.ca/2014/11/pourquoi-tant-de-gynecologues.html ???

  2. Bonjour Rachel et autres lecteurs…Il n’y a dans ce petit film strictement aucune information un tant soit peu scientifique…Rien que du brassage d’émotion et de bons sentiments. À quand un travail de la cour des comptes pour chiffrer les dépenses en communications vaines et creuses…Et mettre cet argent là dans la recherche! la vraie!
    À quand le chiffrage de ce que coûte octobre rose (entre autres) au contribuable pour finalement réjouir le porte-monnaie de l’industrie médicale privée. Mon « espoir » à moi fond comme neige au soleil devant tant d’incurie.

  3. En résumé, on pourrait dire: des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent on en cherche !
    Et dire que ce type de communication pour débiles est financé par l’argent public…

  4. Sybille dit :

    Passée par la case mamo de dépistage il y a peu. Commentaire du technicien: Vous avez vu, on a une toute nouvelle machine! J’avais pas vu (m’en fous), j’ai regardé: elle est rose… Déjà, cette histoire de rose me gave depuis toujours, je déteste le rose et les assignations de genre tout autant. Mais le coup du « rose dans le ciel noir de la maladie », quelle c… nnerie…

  5. LEXA ANNETTE dit :

    encore et toujours cette approche mécanistique du vivant.
    la biologie moléculaire n’a toujours pas intégré la (vraie) complexité des systèmes vivants.
    Elle a inventé la biologie » intégrative  » qui en fait ne sort pas du cadre réductionniste et mécanistique précédent, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Elle postule une construction de nature mathématique des système biologiques en lien avec leur environnement. Ces modélisations bioinformatiques ne sont crées qu’au prix d’une simplification extrême, et que, comme prémisses, par l’intention et la vision du monde des chercheurs qui fabriquent des algorithmes censés à leur yeux représenter ce qui se passe (au prix d’un simplisme sans nul doute effrayant) . En toxicologie , une des rares disciplines qui appréhende le vivant dan son entier et en relation avec son environnement , nous sommes incapables de prédire le risque lié à une exposition à quelque molécules et tout cela reste en plus très théorique, inapplicable dans le vraie vie. Alors comment imaginer que la bioinformatique médicale va réussir à prédire le comportement d’un système biologique aussi complexe qu’un corps humain en relation avec son environnement???? c’est vraiment se foutre du monde.
    Et quel triomphe que la recherche sur le médicament anti-Alzheimer ou les derniers générations d’anticancéreux qui font gagner 2 mois et demi de survie au prix de souffrances insupportables. Ce sont les actionnaires qui se réjouissent surtout. Un conseil : Investissez dans les labo qui fabriquent des anticancéreux remboursé par la S.S. à 100 % : des délais de mise sur le marché raccourcis permettent une rentabilité optimale : dès les essais cliniques phase 3, voir, bientôt phase 2 tant qu’on y est , les actionnaires s’impatientent. Et tout çà grâce à la bioinformatique!
    Les hommes ont besoin qu’on leur raconte des histoires.

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