Quelche chose dans le ton…

 Le 30 octobre dernier,  paraissaient dans Le Lancet les conclusions du rapport Marmot «The benefits and harms of breast cancer screening: an independant review ». Attendues de longue date, elles disent, en gros, que le dépistage sauve des vies même si le surdiagnostic est plus important que ce que l’on pensait. Des conclusions en contradiction avec les études récentes montrant un impact virtuellement nul du dépistage par mammographie sur la mortalité. Alors qui croire ? A présent, c’est une étude contre l’autre, une revue contre l’autre. Les initiés ont bien entendu assez vite repéré la non prise en compte des dernières données, en particulier celles révélées par les études du Dr Philippe Autier (voir ici), mais cet oubli passe inaperçu du grand public qui n’a aucun moyen de faire la différence entre une revue à la méthodologie rigoureuse et une autre dont la méthodologie laisse à désirer. Cependant il existe d’autres approches pour se faire une idée de la valeur d’une étude ou d’une revue « indépendante », et lesdites approches sont tout à fait à la portée des non-experts. L’une d’elles consiste à simplement passer aux rayons X les termes employés et le ton du texte.

Et puisque personne n’a envie de quelque chose de trop compliqué en ce magnifique week-end automnal, nous nous contenterons d’examiner l’éditorial – court mais déjà fort révélateur- du Lancet « The breast cancer screening debate: closing a chapter?», accompagnant la publication du rapport Marmot. Ce n’est pas sorcier : il suffit de procéder à la lecture en s’arrêtant dès que quelque chose « accroche ». Et ça commence dès le titre, paternaliste qu’il n’en peut plus, mais personne ne s’en rend compte. Il sous-entend en effet qu’il faut clore le débat, c’est-à-dire parvenir à une directive unique pour toutes, ôtant par là à la candidate au dépistage tout droit de prendre une décision en fonction de ses valeurs personnelles. La deuxième « accroche » se produit sans tarder à la quatrième phrase : « Ces discussions polarisées ont probablement entrainé une certaine confusion dans l’esprit des candidates au dépistage ». Cette affirmation, en apparence innocente, témoigne déjà d’un certain parti-pris. L’adjectif « polarisées » est péjoratif et suggère la foire d’empoigne. C’est une excellente préparation à l’annonce de la conclusion d’un expert présenté alors comme « neutre », bien au dessus de la mêlée, et qui va clore ces discussions dites « polarisées ». La légitime demande du droit tant au débat qu’au doute est ici discréditée d’emblée. Semer la confusion dans l’esprit des candidates au dépistage serait ainsi le péché suprême, bien plus condamnable apparemment que celui de leur cacher l’information. Cette hiérarchie dans la gravité est quelque peu insultante envers les femmes et pourtant ceux qui en usent ne semblent aucunement avoir conscience de cet affront à leur intelligence. Sous-entendrait-on qu’elles sont incapables de faire leur choix entre deux informations contradictoires ?

« En réponse à ce débat, en octobre 2011, le directeur national du cancer [au Royaume-Uni], Mike Richards, a demandé un réexamen indépendant du dépistage du cancer du sein » : à la façon dont sont présentées les choses, il apparait certain que les conclusions de ce réexamen apporteront une réponse définitive à ce débat. Nous retrouvons ici la même absence d’humilité que nous avions remarquée dans l’enquête européenne de Stephen Duffy qui prétendait déjà apporter une réponse définitive (voir billet du 16 septembre dernier ici). Curieux tout de même ces deux réponses « définitives » qui se suivent à quelques semaines d’intervalle et qui invalident, de par leur succession même, leur caractère « définitif ». A quand la prochaine ? Mike Richards s’auto-érige donc lui aussi en radical dissolvant d’angoisses féminines, en grand magicien sortant de son chapeau LA solution à l’énigme du dépistage sous la forme du rapport Marmot. Grâce à super Mike, nous ne nous tordrons plus les mains en nous demandant anxieusement si oui ou non nous devons passer une mammographie. Qu’attendons-nous pour nous liquéfier sur place, éperdues de gratitude ? Nous allons enfin être définitivement sauvées du péché d’indécision par le dieu-expert. Alléluia! Désolée, cher Mike, mais en ce qui me concerne, étant donné ta fonction et tes antécédents, je ne te délègue pas le droit de répondre à ma place dans ce débat. Pour info, Mike Richards, surnommé outre-manche « The cancer csar » est un peu le Pr David Khayat britannique. Imagine-t-on demander un rapport « indépendant » au Pr Khayat ou à l’INCa dont l’un des domaines d’intervention est de contribuer à la mise en oeuvre des politiques de dépistage? Tout à fait risible et irréaliste pour les informés, ne serait-ce qu’à minima. « Un réexamen indépendant » : la présence de ce qualificatif élogieux – lourdement affiché dès le titre- est déjà suspecte en soi. Une revue réellement indépendante n’éprouverait pas le besoin de le clamer : on insiste toujours sur ce qui ne va pas de soi.

L’« accroche » suivante, nous l’attendions avec impatience: « Le panel a également pris en compte la façon dont les femmes percevaient les données disponibles. De nombreuses femmes pensent que la balance bénéfices/risques est positive. » C’est en effet un grand classique : sous couvert de s’intéresser à ce que les femmes pensent, on leur indique, plus ou moins subtilement, dans quelle direction on aimerait qu’elles le fassent. Cela à l’avantage de clouer  le bec en amont à celles qui auraient des velléités de penser à côté en leur envoyant un message fort : « vous ne pensez pas selon la norme ». A visée pédagogique et pour illustration, un autre exemple de facture plus grossière et par là plus facile à repérer. La dépêche APM (Agence de Presse Médicale) relatant les 33èmes Journées de la Société Française de Sénologie et de Pathologie Mammaire (SFSPM) sur le thème « Cancer du sein : surdiagnostic, surtraitement, à la recherche de nouveaux équilibres » nous dit : « Du côté des patientes, selon des propos recueillis par le Dr Pascale Romestaing de Lyon auprès de femmes par l’intermédiaire de l’association Europa Donna France, la notion de surtraitement et de surdiagnostic est compréhensible mais ne semble pas les inquiéter car elles ne se sentent pas personnellement concernées. Si elles souhaitent connaître les avantages et les inconvénients, elles insistent sur la relation de confiance créée avec le médecin et ne demandent pas à être responsable de leur traitement. » Joli non ? On ne saurait indiquer de façon plus claire la « bonne » attitude à avoir. Il est vrai qu’il n’est pas certain que l’on puisse considérer l’association Europa Donna comme représentative des femmes en général.  A contrario, elle représente certainement parfaitement d’autres intérêts. Il suffit d’aller faire un tour du côté de ses « partenaires » (Astra Zeneca, Amgen, Bristol Myers Squibb, GE Healthcare France, GSK, Pfizer, Lilly France, Roche, Pierre Fabre, Sanofi-Aventis, Novartis, Unilever…[1]) pour avoir une idée de son « indépendance ». Cette façon de présenter comme une constatation le fait que les femmes pensent d’une certaine façon alors qu’il s’agit seulement d’un vœu pieux est un modèle du genre.

« Le rapport du panel, qui constitue la plus récente et meilleure revue systématique à ce jour, montre que le programme britannique de dépistage sauve des vies, mais surtout, que les bénéfices surpassent les risques » : le ton est ici tellement publicitaire que nous en venons à être gênés pour les auteurs. De telles formules – « la plus récente », « la meilleure»-  n’ont rien de scientifique et semblent surgir tout droit d’une pub pour machine à laver des années 1970.

« Il est à présent impératif de répandre ces résultats dans les medias, au sein du programme de dépistage du NHS, et des les intégrer dans la relation médecins-patients » : cet impérieux besoin des auteurs que leurs résultats soient communiqués à qui de droit se retrouvait déjà chez Stephen Duffy qui déclarait en parlant de sa revue : « Ces conclusions doivent être communiquées aux femmes ciblées par les programmes de dépistage en Europe ». Dans la mesure où une prétention ne va pas sans l’autre, on décrète donc que les conclusions de son travail sont dignes d’une large diffusion. Sans être très perspicace, on perçoit ici le gros appel du coude aux médias « S’il vous plait, jouez le jeu et répandez la bonne nouvelle » Il est vrai que d’annoncer que le dépistage sauve des vies s’avère nettement plus médiatique que de s’en tenir au doute. Ce doute dans lequel il n’est pas éthique de laisser patauger plus longtemps les candidates au dépistage : “Les femmes doivent pouvoir avoir accès à ces toutes dernières données de façon à être en mesure de faire un choix éclairé concernant les dépistage du cancer du sein. » Une petite nuance s’impose ici : les femmes n’auront pas véritablement accès aux données elles-mêmes, mais au résultat du rapport bénéfices/risques qui reste calculé en amont. Cependant placer quelque part dans le texte la très médiatique formule « choix éclairé » fait toujours son petit effet. Nous ne parlerons pas ici des données qui auraient pu être oubliées dans le calcul de ce rapport. On compte donc sur les médias, comme autrefois sur le crieur de nouvelles sur la place du village « Oyez ! Oyez ! Candidates au dépistage ! La mammo sauve des vies, c’est Marmot qui l’a dit. » Venait souvent juste après le vendeur de rubans ou de produits miracles. Aujourd’hui est garé sur un coin de la place le mammobile.

En conséquence, chers concitoyens et concitoyennes, point n’est besoin d’avoir fait Médecine pour se faire une idée sur une étude, une méta-analyse ou un éditorial d’une revue médicale. Quelque chose de présomptueux dans le ton par ci, un aspect par trop publicitaire par là, vous en apprendra tout autant que la recherche de données scientifiques. Passez au crible la forme, et vous aurez une idée du fond.



 



[1] http://www.expertisecitoyenne.com/2012/09/16/zorro-est-arrive/

[2] Consultable suivant le lien : http://www.europadonna.fr/liens/liens.html

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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5 réponses à Quelche chose dans le ton…

  1. prostateinquiète dit :

    Merci de votre réponse.

    Si je ne fais pas erreur, plusieurs possibilités semblent s’offrir à qui veut discuter avec le Dr Lemoine : http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Pourquoi-Docteur/
    http://pourquoi-docteur.nouvelobs.com/Pourquoi

    On pourra préférer utiliser le mail de la société MVS dont un Dr J.F. Lemoine -le même?- est président cf http://www.mvs-productions.fr/equipes.html

  2. prostateinquiète dit :

    Bonjour,

    Le Dr Jean-François Lemoine a fait grand cas de cette étude dans le NouvelObs du 22 novembre 2012 (p. 111). ( Il fait aussi le pari que la technique des marqueurs génétiques permettra à Dieu d’y reconnaître les sieins ).

    • Rachel Campergue dit :

      Oui, effectivement j’ai vu passer ce billet du Dr Lemoine. C’est à très juste titre que vous parlez de pari. En effet, en attendant que la technique des marqueurs génétiques – au passage, bravo pour le jeu de mots ;-)- se résume à autre chose que des promesses, la mammographie détecte énormément de cancers qui n’auraient jamais évolué. C’est donc un pari que la femme fait en allant passer sa mammo… la plupart du temps sans en avoir la moindre conscience. Nous avons un problème ici et maintenant qui ne peut être résolu par des promesses de lendemains thérapeutiques qui chantent.
      Quant à la déclaration du Dr Lemoine comme quoi « les avancées de la recherche devraient bientôt aider à éteindre la polémique », j’ai une furieuse envie de lui dire qu’il n’a encore rien vu ;-)

  3. Elisa dit :

    Bonjour Rachel,

    sur le blog d’un médecin pro dépistage cette même analyse est qualifiée de « sereine » (billet du 29/10/12). Il y a dans son billet un concentré de ce que je ne supporte pas chez les médecins, la condescendence en couche épaisse vis à vis des non médecins et des femmes en particulier. La lecture du ton de son billet m’avait mise en transe et si il y avait eu le moindre argument valable l’état d’esprit du monsieur les rend nuls.

    Très cordialement

    • Rachel Campergue dit :

      Merci infiniment pour ce commentaire Elisa.
      En effet, nous autres les non-médecins avons tout à fait le droit – et qui plus est le devoir – de nous faire notre propre idée sur une étude, une revue, un éditorial d’une revue médicale ou sur un billet écrit par un médecin en passant au crible le ton, l’état d’esprit, le parti-pris, et en repérant les arguments davantage publicitaires que scientifiques. Je constate avec plaisir que vous avez exercé ce droit.

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