Revue de presse (non exhaustive) (2) La France

spirales SM2 RECLes études dont les conclusions ne vont pas dans le sens de l’efficacité de la mammographie font fréquemment l’objet d’une attaque en règle de la part des partisans du dépistage. C’est logique et de bonne guerre. Ce qui l’est déjà moins, c’est que les médias effectuent rarement le travail d’investigation qui leur permettrait de jouer un autre rôle que celui de relais amplificateur des institutions dont l’objectif, par contrat, est de continuer à promouvoir le dépistage. Nous avons, dans le post précédent,  procédé à une revue de presse des médias outre-Atlantique en relevant les « arguments » les plus grossiers exhumés pour tenter d’invalider l’essai canadien paru dans le BMJ le 11 février dernier. Essai qui conclut à l’incapacité de la mammographie à réduire la mortalité spécifique au cancer du sein. Comment les médias français allaient-ils s’en sortir pour parvenir à tempérer un résultat aussi politiquement incorrect ?

Comme à leur habitude en fait, ni plus ni moins. En d’autres termes, il existe un certain nombre d’« arguments » que l’on ressort systématiquement du placard chaque fois que la mammographie est attaquée. Ce sont nos classiques français en quelque sorte. Tant ce sont des constantes que nous pourrions nous amuser à les édicter sous forme de lois. Un peu comme de bonnes vieilles recettes qu’il suffirait de suivre pour éviter que le soufflé au fromage de la mammographie ne se dégonfle piteusement juste avant d’être servi à table. Quelles sont ces lois/recettes qui marchent toujours, mais pour combien de temps encore?

1/ Si l’étude est défavorable à la mammographie, elle n’est pas transposable en France

« Les résultats ne sont transposables d’aucune façon en France. L’étude compare des groupes de femmes âgées de 40 à 59 ans, alors qu’en France, le dépistage est proposé aux 50-74 ans. Cela change tout. » (Jérôme Viguier, dans Libération).

« Une étude canadienne publiée dans le « BMJ » sème une nouvelle fois le doute sur l’intérêt de la mammographie dans le dépistage des cancers du sein. Mais ses résultats semblent difficilement transposables à ce qui se fait en France. » (Le Généraliste)

« Une étude canadienne tend à montrer que le risque de mourir d’un cancer du sein n’est pas moins important chez les femmes suivies régulièrement. En France, le dépistage organisé réduit fortement la mortalité. » (Pourquoi docteur, en sous titre)

« Les résultats canadiens sont-ils transposables en France ? […]Reste maintenant à savoir si cette étude canadienne remet en cause la stratégie française. Plusieurs éléments de réponse peuvent être avancés. Tout d’abord, au Canada, les femmes ont été dépistées dès 40 ans, annuellement, et durant à peine cinq ans. En France, depuis dix ans, les femmes sont appelées à faire des mammographies à partir de 50 ans, et ce tous les deux ans […] Ces différences avec la France ne sont pas neutres » (Pourquoi docteur)

2/ Si l’étude est favorable à la mammographie, subitement, elle le devient

« A l’exception de cette étude, toutes les études mondiales montrent que le dépistage permet d’avoir des traitements plus faciles, et moins mutilants. Le pronostic des tumeurs est donc meilleur à long terme… » (Daniel Serin, cancérologue, dans Pourquoi docteur)

« … d’autres données [que celles de l’essai canadien] plaident dans le sens inverse. Comme cette publication de 2012 du Journal of Medical Screening qui a passé en revue les programmes européens de dépistage et a conclu que sur 1 000 femmes dépistées, 7 à 9 décès sont évités pour 4 femmes « surdiagnostiquées ». Et, globalement, « si les bénéfices sont certes moins importants que ceux mis en avant dans les années 1980 –- du fait notamment des progrès thérapeutiques réalisés depuis – il est admis que le dépistage à la française réduit la mortalité d’environ 20% au prix de 10% de surdiagnostic ». (Marc Espié, dans Le Généraliste)

3/ Parler systématiquement de polémique plutôt que de débat.

« Polémique biaisée sur la mammographie » (Le Figaro, en titre)

« Polémique venue du Canada » (Pourquoi docteur, en titre)

« Disons que les polémiques sont très bien relayées par les médias » (Jérôme Viguier, dans Libération)

Or, selon le Petit Robert :

Polémique : qui suppose une attitude critique, qui vise à une discussion vive ou agressive.

Débat : action de débattre une question, de la discuter.

« Polémique » est un terme beaucoup plus péjoratif que « débat », employé à dessein afin de faire passer les douteurs de la mammographie pour des accros à la critique, quelle qu’elle soit.

4/ Inviter des personnes dont la profession est liée au maintien du dépistage pour expliquer pourquoi il est utile.

Jérôme Viguier, directeur du Pôle Santé publique & Soins à l’Institut National du Cancer (INCa), ancien « Mr Dépistage » de l’INCa,  (Invité par Libération)

Marc Espié, responsable du Centre des maladies du sein de l’hôpital Saint-Louis, service d’Oncologie médicale. (invité par Le Généraliste)

Daniel Serin, cancérologue à l’institut Sainte-Catherine à Avignon (invité par Pourquoi docteur)

Il est à noter que L’Express, le renégat, à osé enfreindre cette loi et laisser la parole … à l’auteur leader de l’essai canadien, le Dr Anthony Miller. Infraction à saluer…

5/ Si le résultat de l’étude est défavorable à la mammographie, suggérer que ce n’est qu’une impression

« En lisant l’étude un peu vite, on retient que faire une mammographie tous les ans ne réduit pas la mortalité due au cancer du sein » (Libération)

« De nombreux médias se sont précipités sur la conclusion, sans nuance, de l’étude alors que les enseignements de celle-ci sont beaucoup plus modestes. » (Le Figaro)

L’étude possèderait un sens caché (qui reste encore à découvrir) qu’une lecture trop rapide ne permettrait pas d’appréhender.

Une autre encore :

« Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain »,( Marc Espié dans Le Généraliste) Cette étude « est plus une étude qui valide l’intérêt de l’examen clinique dans le repérage des cancers du sein qu’une véritable remise en cause de la mammographie… ». (idem, Marc Espié, Le Généraliste)

6/ L’opposition à la mammographie n’a rien à voir avec les faits mais est plutôt à  mettre sur le compte de traits de caractère bien français

« A la moindre étude qui met en doute le dépistage, les journalistes embrayent….En France, certainement plus qu’ailleurs. Peut-être parce que les Français aiment bien être un peu rebelles et méfiants vis-à-vis de l’Etat. Ils ont un regard circonspect envers les stratégies nationales de santé, que ce soit les campagnes de vaccination ou bien de dépistage. » (Jérôme Viguier, dans Libération)

Les français –mais surtout les françaises – sont de grands enfants, c’est bien connu. Il faut donc être indulgents, en se gardant de prendre trop au sérieux leurs opinions. Plus paternaliste, tu meurs…

7/ La répétition tiendra lieu d’argument

«Oui, les dépistages de cancer du sein sont efficaces» (Libération, en titre, citant Jérôme Viguier)

« Pourquoi le dépistage organisé est utile » (Pourquoi docteur, en titre)

« … la réduction du risque de décès est de 20 à 30 % » (Le Figaro)

« Oui. [Jérôme Viguier répondant à la question « Le dépistage est-il vraiment efficace ? »]  Dans le milieu médical, le dépistage en soi ne fait pas débat. Il réduit les taux de mortalité. De l’ordre de 15 à 20 % » (Jérôme Viguier, dans Libération)

Répétez, répétez, il en restera toujours quelque chose… Des affirmations ou des chiffres invalidés depuis longtemps – et en particulier par l’étude qu’il s’agit justement de commenter – sont martelés, envers et contre tout.

Une dernière de Daniel Serin, interviewé par Pourquoi docteur :

« En 2012, d’après les chiffres de l’Inca, elle [la mortalité] baisse de 15 à 21 %, soit 150 à 300 décès évités pour 100 000 femmes dépistées  »

Pourquoi docteur pouruit« L’Institut national du cancer (INCa) estime qu’il permet de repérer 90 % des cancers avant l’apparition des symptômes. Cette efficacité s’explique par la régularité des examens, tous les deux ans. Et pour l’Institut, la détection précoce réduit la mortalité due au cancer du sein. »

Il est à noter que l’on persiste ici à lier détection précoce et réduction de la mortalité, alors que les études (et en particulier l’essai canadien) montrent que les deux n’ont rien à voir. Mais pourquoi, docteur, cette notion est-elle si difficile à comprendre ?

8/ Le dépistage, tu victimiseras

« Le dépistage du cancer du sein est à nouveau sous le feu des critiques » (Pourquoi docteur)

« Surdiagnostic, pas d’impact réel sur la mortalité… Ce sont les critiques éternelles qui collent à la peau du dépistage systématique du cancer du sein » (Pourquoi docteur)

Et enfin Le Généraliste qui titre : « La mammo à nouveau bousculée ». La pauvre chérie…

9/ Insinuer que l’opposition au dépistage bénéficie d’un battage médiatique disproportionné

« Disons que les polémiques [voir loi N°3] sont très bien relayées par les médias. A la moindre étude qui met en doute le dépistage, les journalistes embrayent… » (Jérôme Vigier, dans Libération)

Il serait intéressant, à la prochaine étude remettant en cause l’efficacité de la mammographie, de reprendre ces lois et de vérifier leur mise en application.

Place aux travaux pratiques…

 

PS : En parlant de revue de presse, après un décrochage de twitter de plusieurs jours, je découvre ça, de Doña Pernelle. Décoiffant, comme d’hab…

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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2 réponses à Revue de presse (non exhaustive) (2) La France

  1. Il est toujours question de « vies sauvées » du cancer mais quid de la iatrogénie au sens général et ceci à plus long terme que 5 ans. Je vois auprès de moi les lymphoedèmes, les mauvaises jambes, les foirages de reconstruction, une amie de maman qui meurt lors de sa première chimio (suite à une mammo de dépistage), les problèmes cardiaques…Tout le binz associé aux hormonothérapies. Douleurs articulaires, prises de poids, maux de tetes, perte de libido…
    Pour survivre je peux comprendre…
    Mais quand la balance bénéfice-risque est si peu probante et néglige le long terme, c’est une « survie » chèrement payée qui génère plus de morbidité qu’autre chose. Dans ce cas là, les femmes ont largement la possibilité de choisir sans se faire clouer au pilori, sans leur faire croire qu’elles sont criminelles. Quels sont donc réellement les enjeux pour que face à l’évidence l’institution et les médecins qui tiennent le même discours continuent dans cette voie?

  2. Annette LEXA dit :

    …désolée, mauvaise manip, merci de ne pas tenir compte du précédent message…)

    7 à 9 décès sont évités pour 4 femmes « surdiagnostiquées ». (…) le dépistage à la française réduit la mortalité d’environ 20% au prix de 10% de surdiagnostic ». (Marc Espié, dans Le Généraliste) :
    cela signifie que, pour les défenseurs officiels du DOCS , le depistage de 100 femmes en sauve 20 de la mort au prix de 10 surdiagnostiquées et surtraitées: une balance bénéfic/risque collectif de 2/1… Mouai, c’est un peu la roulette russe, tout çà…pas terrible quand même et rien que ce résultat devrait amener à ouvrir le débat. Personnellement, en m’appuyant sur les arguments des défenseurs, ai-je envie de jouer à la roulette russe avec ma vie (1 chance sur 10 d’être surdiagnostiquée et surtraitée, c’est à dire amputée et irradiée et intoxiquée pour rien, tout çà pour sauver la vie de 2 femmes dans les statistiques publiques? Et si cette femme sur 10 meurt des conséquences de ce surdiagnotic, comment sera enregistré la cause de son décès? Ne serait-ce que pour des questions de bioéthique, cela mériterait à tout le moins débat (et non polémique ;-)
    – on se demande comment des étude d’incidence menées sur une période de temps bien définies – toujours trop courte au regard de l’espérance de vie d’un individu- sont capables de vous annoncer avoir éviter la mort des femmes à la fin de l’étude. Sans compter sur le nombre de personnes qui sortent des cohorte et la VERITABLE cause de la sortie et dont l’étude ne nous dit jamais rien de leur devenir.
    -Le registre des cause de décès (CEPIDC) n’est pas à la hauteur des attentes en épidémiologie. manque de temps pour les médecins, qualité des données incertaine et j’en passe certainement… comment être sûr de la qualité des données? est ce toujours la cause première de la mort qui enregistrée ou est ce les conséquences?Pour un mort dû à la chimiothérapie, quel sera l’indication de la cause de sa mort, au regard des rubriques du CEPIDC ? : symptômes mal définis? mort par empoisonnement? maladies infectueuses? cancer?
    Intéressant d’aller sur http://www.cepidc.inserm.fr/cgi-bin/broker.ex
    Il faut savoir par exemple qu’il n’existe pas de registre de morbimortalité digne de ce nom à la MSA , ce qui évite de se poser des questions sur les décès des salariés du secteur agricole et de l’élevage.
    Sachant que « Le CépiDc participe aux différents rapports du Haut Conseil de la Santé Publique sur l’état de santé en France en étant plus particulièrement chargé des contributions basées sur les indicateurs de mortalité » , on est en droit de se poser de questions sur la qualité des outils utiliser en épidémiologie pour démontrer des évitements de décès du au cancer.

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