« Eclairez les dupes… »

 « Eclairez les dupes, il n’y aura plus de fripons »

Il s’agit-là d’une citation de Jean-Eugène Robert Houdin, célébrissime illusionniste français du XIXe et elle constituera en quelque sorte le fil rouge de la conférence que j’aurai l’honneur d’animer à l’Equitable café, 54 cours Julien à Marseille ce mercredi à 20h, à l’initiative du collectif Massilia Santé System et de l’Equitable café.

En matière de dépistage de cancer du sein, plutôt que d’attendre après la bonne volonté de l’émetteur de l’information officielle englué dans ses conflits d’objectifs et ses réflexes paternalistes, une démarche plus réaliste consiste peut-être à protéger le récepteur de cette « information », c’est-à-dire nous, en lui donnant quelques éléments pour la décrypter et résister à la manipulation.

Très brièvement, voici quelles seront les grandes lignes traitées.

Nous partirons d’un premier constat : nous sommes des illettrés en matière de manipulation. Seuls les chercheurs qui se spécialisent dans ce domaine ont une bonne connaissance des techniques de persuasion… ainsi que les vendeurs de voitures et les concepteurs des campagnes de santé publique. Or  jamais, au grand jamais, nous n’avons été autant bombardés de messages persuasifs, et nous nous retrouvons cruellement sans défense. Deuxième constat : ces techniques de persuasion seraient impuissantes et inefficaces si elles ne pouvaient s’appuyer sur nos faiblesses et besoins. Ce point est capital et c’est là, et uniquement là, que nous pourrons avoir un levier d’action. Cependant ce ne sont pas les seules ficelles que vont tirer les professionnels de la persuasion : en se servant de nos émotions, ils vont déclencher chez nous des réactions automatiques, un peu comme on appuie sur un bouton. On n’a pas encore trouvé mieux que la peur pour shunter la réflexion. Il ne s’agit pas de ne plus rien ressentir, mais de décider si nous allons laisser les émotions prendre le pas sur la réflexion dans une décision concernant notre intégrité physique et notre vie.

En vrac, quelques unes de nos faiblesses, sur lesquelles va s’appuyer –lourdement-  la campagne de dépistage du cancer du sein :

- notre prétention de ne pas être manipulable : « le sentiment d’être différent des autres est commun à nous tous »

- notre amour de la conformité : l’argument ad numeram.

- notre révérence à l’autorité : les titres en jettent et nous impressionnent

- nos liens avec nos proches : l’INCa recycle la méthode Tuperware (« Parlez-en aux femmes que vous aimez »)

– notre manque de vigilance concernant l’emploi qui est fait de certains mots « porteurs » : prévention, information, entre autres. « Quand les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté » (Confucius)

– notre besoin de certitudes. Nous détestons douter et adorons les réponses simples… qui se révèlent souvent fausses

– notre tendance à nous laisser facilement enfermer dans des histoires associées à un statut et qui trainent avec elles un rôle à jouer (histoires souvent écrites par d’autres)

Quant aux automatismes et à l’appel aux émotions :

- la spirale de l’engagement et le besoin de justification a posteriori Nous ne sommes pas des êtres rationnels mais rationnalisants. Nuance.Plus nous nous sommes engagés dans une voie, plus nous nous sommes investis émotionnellement ou professionnellement, plus il nous sera difficile de reconnaitre nos erreurs et de faire marche arrière. Il découle de cela que les deux groupes pour lesquels la remise en question du dépistage sera la plus difficile seront les professionnels de santé impliqués dans le dépistage mais également les « survivantes » du cancer du sein.

- L’appel à la peur, travaillé, surexploité, encouragé, attisé, défendu, au point que le besoin de rassurer fait à présent partie des justifications du dépistage.

Nous parlerons ensuite de certaines prédispositions féminines, inculquées par notre éducation, qui font que nous serons plus vulnérables à certains types d’ « arguments »

- notre sens du dévouement, du sacrifice, de la responsabilité vis-à-vis des autres et de la communauté.

- notre propension à l’obéissance, ce souci que nous montrons d’être bonne élève, de bonne composition.

Et si nous regardions le cancer du sein sous un autre angle ?

Tous les professionnels de la persuasion vous diront que la façon dont un problème est posé oriente déjà vers une réponse en particulier. Ils nomment cette étape la pré-persuasion. Elle consiste à définir ce que tout le monde tient pour acquis.Nous verrons que selon vers où est tourné le projecteur ou quel objectif est utilisé (macro sur le cancer du sein ou bien grand angle) la façon d’envisager le problème change, et avec elles, les solutions possibles.

Le paternalisme libertaire, ou à quelle sauce nous allons être mangés.

Et enfin, nous terminerons par l’évocation d’un concept qui nous vient de l’économie comportementale : le paternalisme libertaire. Ci-dessous, pour donner le ton, une citation extraite d’un ouvrage écrit par deux théoriciens de ce concept :

« Les individus étant appelés à faire des choix étant de simples mortels, il s’agit, dans toute la mesure du possible, de leur faciliter la vie. »

Il va sans dire que ceux qui se dévouent pour nous « faciliter » la vie en prenant les décisions à notre place ne sont pas des simples mortels, eux. Ils ne se trompent d’ailleurs jamais.

Voilà. Pour les phocéen(ne)s que le sujet intéresse, rendez-vous mercredi soir 20h à l’Equitable Café, 54 cours Julien à Marseille :-)

 

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
Ce contenu a été publié dans Non classé, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à « Eclairez les dupes… »

  1. Rachel Campergue dit :

    Bonjour,

    « A quel % évaluez-vous les nombre de « faux » cancers ? »
    Ce n’est pas moi qui évalue, mais les chercheurs. Et, par exemple, une des plus récentes études sur le sujet, celle de Bleyer et Welch parue dans le NEJM en novembre dernier, estime le pourcentage de surdiagnostic à 31 %. Voir post du

    « Et comment faire de la prévention sans mammographie ? »
    La mammographie n’est pas de la prévention ! Il est vrai que l’amalgame dépistage = prévention est pratiqué à l’envi dans les médias et dans la campagne ce qui permet au dépistage de bénéficier de tout le capital de sympathie du mot « prévention »mais le dépistage n’est rien d’autre qu’un constat : on détecte une tumeur, on ne l’empêche pas de se produire. La véritable prévention, dixit le Petit Robert, est l’action de devancer est prévenir consiste à éviter une chose (considérée comme gênante ) en prenant les devants.

    « Tous les cancers du sein (ou autres) ne proviennent quand même pas de conflits interpersonnels »
    Cette théorie (que je ne partage pas) consiste à chercher systématiquement une origine émotionnelle à un cancer. C’est une façon commode de reporter la faute sur l’individu, sur son histoire. Nous vivons dans une société qui nous a appris à « internaliser » tous nos problèmes.

    « En résumé, quelle solution alternative proposez-vous ? »
    Avant tout, il semble de moins en moins confirmé que la mammographie soit la solution au problème du cancer du sein. On peut donc supposer que l’abandon d’une solution qui n’en est pas une ne soit pas dramatique. Je réponds justement à cette question en détail dans mon intervention.
    A présent, il faudrait tenter de rattraper le temps perdu en explorant d’autres pistes de recherches : la piste environnementale et l’exposition aux perturbateurs endocriniens entre autres. Limiter cette exposition constituerait une véritable prévention du problème et non sa gestion.
    Là aussi, ce sujet est évoqué dans mon intervention (voir les deux postes suivants, 2e partie) sous le titre « changement de perspective » avec le rapport du Silent Spring Institute qui a identifié 216 carcinomes mammaires. Une véritable prévention éviterait bien des souffrances…

    Bien à vous,

    Rachel

  2. billebault dit :

    bonjour, très intéressant mais quand même, à quel % évaluez-vous les nombre de « faux » cancers ? Et comment faire de la prévention sans mammographie ? Tous les cancers du sein (ou autres) ne proviennent quand même pas de conflits interpersonnels. En résumé, quelle solution alternative proposez-vous ? Merci

Répondre à billebault Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>