Quand l’annonce d’une mauvaise nouvelle devient une bonne nouvelle

La mauvaise nouvelle : l’impact du dépistage par mammographie sur la mortalité par cancer du sein est nul ou marginal. C’est ce que vient de démontrer une fois de plus une étude menée par le Dr Philippe Autier de l’International Prevention Research Institute (iPRI) de Lyon publiée dans le Journal of the National Cancer Institute le 17 juillet dernier (voir post du 20 juillet ici). La bonne nouvelle : la presse française en parle, tant il est vrai qu’on n’a jamais vu une erreur corrigée sans qu’elle ne soit, dans un premier temps, reconnue. Anne Jeanblanc du Point pose dès le titre de son article la question qui dérange car personne n’admet la réponse de gaîté de cœur : « Les mammographies de dépistage systématique sont-elles utiles ? » Plus inattendu encore, elle ne se sent pas tenue de rappeler les consignes des instances de santé publique, au cas où – sait-on jamais – une citoyenne  particulièrement torve serait passée entre les mailles pourtant serrées de la « sensibilisation » au cancer du sein. Sa conclusion est claire, sans larsen : «  Ils [les chercheurs] concluent à l’absence de preuve globale de l’impact du dépistage systématique sur la mortalité par cancer du sein. Il n’y a pas de raison pour que les résultats soient différents en France… » Cette annonce dans Le Point, hebdomadaire grand-public, de conclusions de recherches qui remettent fondamentalement en question les politiques de santé publique est révélateur de l’évolution du discours des médias concernant le dépistage du cancer du sein par mammographie. Un twitt – émanant du Dr Dominique Gros, ancien radiologue et néanmoins « douteur » de longue date de la validité des slogans d’Octobre rose – brocarde l’omerta régnant habituellement dans ce domaine : « Le dépistage par la mammographie ne sauve pas de vies. C’est vrai, mais il ne faut surtout pas le dire. » Qu’une journaliste, justement, le dise, mais aussi qu’un magazine le publie, était donc à saluer. Cependant, Anne Jeanblanc n’aurait certainement pu en parler si nombre de ses consœurs n’avaient progressivement contribué à miner les fondations de ce dogme qui semblait, il y a peu encore, intouchable : « La mammographie sauve des vies ». D’autres ont très certainement tenté de faire part de l’incertitude grandissante concernant l’utilité de la mammographie, mais se sont heurtées au refus de leur rédaction : le doute n’est pas particulièrement vendeur. Pas toujours évident pour une journaliste de faire son boulot lorsque la « sensibilisation » prend le pas sur l’information. Anne Jeanblanc en a eu la possibilité et fut accusée dans certains commentaires postés suite à son article de faire « de la propagande », et son discours d’être « du n’importe quoi ». L’envie m’a prise de la soutenir, mais aussi de tenter – une gageure !- de dépassionner le débat en y allant de mon commentaire. Le Dr Philippe Nicot du Formindep, infatigable lanceur d’alerte multi-domaines, m’ayant incitée à le rendre visible sur le blog, le voici dans son intégralité :

« Bravo !

Un grand merci à Anne Jeanblanc pour avoir simplement et fidèlement rendu compte des résultats d’une étude scientifique sans, dans le même temps, tenter d’en atténuer la portée.

Tout le monde connait une femme « sauvée » par la mammographie qui est aussitôt brandie comme preuve vivante que le dépistage sauve des vies. C’est terrible à dire, mais il y a davantage de chances que la vie de cette femme ait été gâchée par la mammographie que sauvée par elle, tout simplement parce que l’équation « cancer détecté = vie sauvée » est fausse. Tirer des conclusions générales à partir de son vécu personnel est intuitif mais conduit parfois à des conclusions erronées. Le surdiagnostic est une réalité. Il entraine un surtraitement, c’est-à-dire un traitement inutile, traitement lui-même non dénué de risques.

Le dépistage systématique du cancer du sein a très certainement été mis en place avec les meilleures intentions du monde – il n’y a ni gentils ni méchants dans cette histoire : nous ne sommes pas dans une cour de récré –  mais les chiffres nous montrent avec une insistance qui va croissant que ce dépistage-là ne marche pas. Il est certes difficile d’admettre que l’on s’est trompé, mais il faudra bien un jour adapter les politiques de santé publique aux dernières données scientifiques. S’en prendre aux porteurs de mauvaises nouvelles (chercheurs qui publient des résultats politiquement incorrects ou journalistes qui en rendent compte) est incontestablement moins déstabilisant que de se retourner contre les faiseurs de belles promesses, mais c’est diriger sa colère dans la mauvaise direction. Il serait grand temps de dépassionner le débat et d’accepter sans s’énerver les questions, y compris celles qui dérangent. Se voiler la face plus longtemps non seulement n’est guère constructif, mais nous fait perdre un temps précieux. Tôt ou tard, il faudra bien admettre cette réalité aussi désagréable soit-elle : le dépistage par mammographie n’a pas d’impact sur la mortalité par cancer du sein.

Le déni de la réalité est parfois plus dangereux que le cancer lui-même… 

 

À propos de Rachel Campergue

Auteure (No Mammo?) La stupidité règne là où tout semble évident. Comment sont posées les questions? That is THE question...
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2 réponses à Quand l’annonce d’une mauvaise nouvelle devient une bonne nouvelle

  1. Dominique B.… M.G. dit :

    Le dépistage du cancer du sein est l’archétype de la dérive de l’exercice de notre profession de MG que nous subissons (et nos patient avec nous) actuellement.
    Nous de DEVONS plus nous occuper de soigner des malades ou d’interpréter des symptômes mais de DÉPISTER… dépister tout et n’importe quoi du moment qu’il y a à la clé un gros gâteau, je cite en vrac : mammographies, PSA, Alzheimer, ostéoporose, dysfonctionnement érectiles, onychomycoses… la liste peut certainement être allongée. Tout ces dépistages ont un point commun, ils débouchent sur une sanction thérapeutique beaucoup plus difficile à « caser » si l’ont n’effectuent pas de dépistage et souvent d’une efficacité plus que douteuse. Je refuse de dépister les maladies d’Alzheimer (ce qui ne veut pas dire que je n’en diagnostique pas) et ne prescrit pas les médicaments qu’il est de bon temps de faire suivre au dépistage alors qu’ils ne servent à rien ou pas grand chose. Je refuse de dépister les ostéoporoses et ne prescrit donc pas d’anti-ostéoporotiques … etc.
    Nous sommes de plus en plus solliciter pour soigner les laboratoires plus que les patients; les circuits de soins plus que les malades.
    Chers confrères, jeter tout les carnets de prescription de dépistage systématique, abonner vous à une revue indépendante comme « Prescrire », occupons nous des malades et des maldies et envoyons bouler les bien-pensants… vite

  2. Merci d’avoir salué Anne Jeanblanc. Il est très important de distinguer les journalistes qui sortent du lot, alors que le Figaro-Santé publiait hier un article laissant penser que la prière pouvait protéger de la maladie d’Alzheimer.

    Certes, Anne Jeanblanc est médecin, ce qui l’aide à comprendre les articles dont elle parle. Mais tu as montré avec ton livre qu’il n’est pas indispensable d’être médecin pour analyser intelligemment la science médicale.

    Anne Jeanblanc s’était déjà distinguée par des papiers de qualité sur l’inutilité du dépistage du cancer de la prostate.

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